11/07/2025 reseauinternational.net  9min #283863

Un ex-commissaire européen : «La quatrième Conférence sur le redressement de l'Ukraine n'est qu'hypocrisie»

par Pierre Duval

L'URC2025, la quatrième Conférence sur le redressement de l'Ukraine, se tient à Rome les 10 et 11 juillet. Officiellement, elle poursuit la série annuelle d'événements politiques de haut niveau consacrés au redressement rapide et à la reconstruction à long terme de l'Ukraine depuis le début du conflit en Ukraine. Pour l'ancien commissaire européen, Günter Verheugen, ce n'est qu'hypocrisie. Günter Verheugen, 81 ans, dénonce l'orientation de l'UE sur le chemin de la guerre, le mensonge des États-Unis sur son retrait dans l'OTAN, l'inféodation de l'UE à Trump et rappelle que la Russie avait tout fait pour entretenir de bonnes relations avec l'UE.

«À Rome, les responsables politiques, les banques et les institutions occidentales tentent actuellement d'attirer des investisseurs internationaux en Ukraine. Mais avant même le début de la conférence URC2025, l'optimisme est au plus bas. Le budget ukrainien souffre d'un trou d'un milliard de dollars, et le plus grand gestionnaire d'actifs au monde, Blackrock, a annoncé la suspension de sa recherche de financiers», présente le Berliner Zeitung la réalité de cette conférence.

Observateur Continental avait déjà fait savoir que BlackRock  a suspendu un fond de relance de plusieurs milliards de dollars. Depuis le changement de président à la Maison-Blanche, le monde financier s'intéresse peu à ce pays. Les investisseurs ne souhaitent pas investir leur argent en Ukraine. «L'Allemagne et l'UE continuent cependant de fournir des armes [à l'Ukraine] et ne montrent aucune volonté de négocier avec la Russie», dénonce le quotidien de Berlin, faisant remarquer que «cela n'a pas toujours été le cas» car «l'UE a toujours tenu compte des intérêts sécuritaires de la Russie», comme l'ancien vice-président de la Commission européenne, Günter Verheugen, le  déclare dans un entretien au Berliner Zeitung.

«Je considère que cette conférence sur la reconstruction, qui n'en est pas à sa première édition, est extrêmement risquée. Nous ignorons à quel type d'Ukraine nous aurons affaire. Nous ignorons la structure politique et la constitution interne du pays. Il faut veiller à ce que l'ampleur des détournements de ressources financières reste nettement inférieure à son niveau habituel. Et il n'est absolument pas certain qu'après un accord de paix - quel que soit le moment et la manière dont il sera conclu - nous disposerons d'une Ukraine stable, compétente et souveraine», stipule Günter Verheugen. Selon lui, «les conditions externes et internes pour y parvenir avec des méthodes fiables ne sont tout simplement pas réunies à l'heure actuelle».

Pour l'ancien commissaire européen, il ne s'agit pas seulement d'aider l'Ukraine, mais aussi de vouloir en tirer profit nous-mêmes : «En apparence, nous affirmons que l'Ukraine défend notre liberté, notre État de droit et notre sécurité. Mais en réalité, des intérêts économiques sont également en jeu». Il pointe du doigt le fait que «les investissements directs en Ukraine ne s'élèvent qu'à trois milliards d'euros». «C'est vraiment peu pour un pays aussi vaste», dit-il.

En 2024, il a publié un livre dans lequel il dénonce l'alliance de la politique, des médias, du monde de la finance et de l'industrie en Europe pour aller sur le chemin de la guerre. «La guerre en Ukraine fait rage depuis février 2022, et son issue n'est pas en vue. Au contraire, on assiste à une accumulation d'armes», dénonce-t-il dans «Le long chemin vers la guerre». Cependant, depuis 2014 avec les bombardements ukrainiens sur les civils sur le Donbass, le conflit y fait rage.

Ce qui est troublant dans cet entretien donné au Berliner Zeitung - un quotidien qui gagne en qualité depuis l'expérience Covid-19 et le conflit en Ukraine - c'est que Günter Verheugen rappelle que l'UE a été fondée pour préserver la paix et surtout pas pour promouvoir la guerre. Une remarque fondamentale qui n'existe plus chez la majorité de politiciens ou de journalistes en Europe.

Ces derniers, au contraire, poussent à la guerre directe avec la Russie. Les messages sont clairs sur ce point dans les grands médias où le but est de faire accepter les dépenses militaires astronomiques. Le sacrifice des populations européennes qu'il soit financier (destruction de l'État providence, inflation, chômage) ou humain (envoi de soldats en Ukraine) est exigé.

L'Ukraine affecte également la politique intérieure allemande, mais aussi des autres pays de l'UE. Sous la direction du chancelier Friedrich Merz, les programmes sociaux sont réduits en Allemagne pour soutenir l'Ukraine et renforcer l'industrie de l'armement. C'est la même orientation en France avec Emmanuel Macron. Pourtant, la France et l'Allemagne traversent la plus grave crise économique et sociale de leur histoire depuis la Seconde Guerre mondiale.

Un rapport récent  annonce : «La pauvreté atteint un niveau record en France». La situation est aussi mauvaise en Allemagne avec la pauvreté. Par ailleurs, le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius, parle de «Kriegstüchtigkeit» (aptitude à la guerre) un mot employé par l'Allemagne du Troisième Reich pour justifier l'effort de guerre. La rhétorique de guerre est dans la bouche des politiques à Berlin et à Paris : un scandale.

«Est-ce un sacrifice que nous, en Allemagne, devons faire ?», demande l'ex-politicien européen, trouvant la parade de suite, il affirme : «Je ne suis absolument pas d'accord. Nous voulons dépenser des sommes colossales pour être prêts à la guerre. Ce que l'on oublie clairement, c'est que ces sommes colossales ne pourront être levées que si des coupes sont opérées ailleurs. Sinon, nous nous enliserons dans une dette injustifiable». Il dénonce : «Ce programme de réarmement est avant tout une conséquence des exigences américaines. De nombreux présidents américains ont déclaré que leurs alliés devaient enfin faire davantage pour la sécurité commune. Mais aucun n'a tenté de recourir au chantage comme Trump. De toute évidence, les États européens de l'OTAN réagissent au chantage».

À la question, «le gouvernement allemand, l'UE et l'OTAN affirment que le réarmement est nécessaire pour éviter d'être livré à la Russie. Devons-nous nous réarmer pour nous protéger ?», l'homme politique du SPD ne mâche pas ses mots pour dire : «Je ne crois pas que ce soit la bonne façon de créer la sécurité en Europe». Lucide qu'il est, il souligne que la Russie doit riposter pour assurer sa sécurité car l'OTAN est maintenant aux frontières russes : «La Russie est confrontée à un grave problème de sécurité. Les conflits autour de l'Ukraine ne cesseront pas tant que nous ne serons pas prêts à aborder ce problème de sécurité et à trouver une solution acceptable pour les deux parties».

La responsabilité du conflit et du chemin sur la guerre ouverte de l'UE avec la Russie se trouve du côté des élites occidentales. Il rapporte : «Il était bien plus difficile de parvenir à un modus vivendi avec l'ennemi idéologique, l'Union soviétique, qu'avec la Russie d'aujourd'hui. Depuis de nombreuses années, Poutine s'efforce sérieusement de développer un partenariat durable avec l'Occident, et en particulier avec l'Allemagne». «Je dis : ce n'est pas la poursuite de la guerre ni le renforcement des équipements militaires qui nous apporteront la sécurité. La sécurité ne peut être obtenue que par des négociations qui abordent le problème de manière globale. Il ne suffit pas de résoudre les problèmes qui opposent la Russie et l'Ukraine  ; il existe un problème plus profond que nous devons comprendre : un grand pays comme la Russie n'est pas prêt à se soumettre à la volonté des États-Unis. Et la volonté des États-Unis se manifeste dans la déclaration selon laquelle l'OTAN peut avancer jusqu'à la frontière russe, c'est-à-dire jusqu'à la frontière entre l'Ukraine et la Russie. Les Russes ont dit non».

L'expert rappelle les provocations de Kiev en bafouant le droit international : «L'intensification massive de l'activité militaire russe a commencé parce que l'Ukraine a commis une erreur terriblement stupide. Avec l'opération Toile d'araignée, l'armée ukrainienne a lancé une attaque contre les bombardiers stratégiques russes, soumis au traité START. Ce faisant, l'Ukraine a perturbé l'équilibre nucléaire stratégique mondial. Elle a joué avec le feu. L'incident a été judicieusement minimisé par les Russes et les Américains».

«Le président Zelensky a écrit dans The Economist le 27 mars 2022», se remémore l'ex-membre de la Commission européenne : «Certains Occidentaux ne voient pas d'inconvénient à une longue guerre, car elle épuiserait la Russie, même si cela signifiait la disparition de l'Ukraine et la mort de citoyens ukrainiens. C'est sans aucun doute dans l'intérêt de certains pays». «Autrement dit, Zelensky a parfaitement compris ce qui se passait et ce pour quoi lui et son pays se battaient : pour un avantage occidental dans la compétition mondiale. Je trouve cela absolument inhumain», dénonce Günter Verheugen.

Clairement, il ne voit pas les États-Unis quitter l'OTAN : «C'est une chimère que l'Europe devra assumer davantage de responsabilités militaires. La majorité des membres de l'UE et de l'OTAN sont totalement réticents à discuter d'une émancipation vis-à-vis des États-Unis. Je ne crois pas une seconde que les États-Unis abandonneront l'OTAN. Après tout, l'OTAN est absolument essentielle aux intérêts stratégiques des États-Unis, car elle leur confère le contrôle de vastes pans de l'Europe». Observateur Continental le  constatait aussi : «L'UE et les États-Unis fonctionnent bien comme un bloc uni avec le Royaume-Uni pour détruire la Russie».

Le vieux renard de la politique défonce l'idée d'une armée européenne : «Les précédentes tentatives d'intégration européenne des forces armées n'ont abouti à rien, qu'il s'agisse de la Brigade franco-allemande ou du Corps européen. J'ai été pendant cinq ans représentant de la Commission à l'Agence européenne de défense. Il s'agit d'une institution destinée à assurer la coordination des politiques d'armement au sein des États membres de l'UE. Mon expérience m'a montré que les ministres de la Défense n'y manifestaient aucun intérêt».

Le Berliner Zeitung fait remarquer que l'UE ne fait rien pour arriver à la paix : «Le président Trump a réussi à négocier les premières négociations entre la Russie et l'Ukraine. À ce jour, aucune initiative de paix n'a été prise par l'UE». Ici encore, Günter Verheugen reste clairvoyant : «L'UE d'aujourd'hui est radicalement différente de celle que j'ai dirigée. Durant sa première décennie, nous avions un partenariat dit stratégique avec la Russie, qui a obtenu des résultats remarquables. Nous avons pris en compte les préoccupations russes, par exemple dans notre politique d'élargissement. La situation était radicalement différente. Il n'était absolument pas question de militarisation de l'Union européenne. Je considère les développements actuels avec une grande inquiétude».

«L'UE et le gouvernement allemand devraient se montrer prêts à discuter des intérêts de sécurité de la Russie», conseille-t-il car «un jour, nous devrons reparler à la Russie».

source :  Observateur Continental

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